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« Est-ce qu’un jour, nous pourrons enfin vivre en paix ? ».

 

C’est la première question adressée au photographe par cette paysanne qui trie les plantes médicinales qu’elle vendra sur le marché. Comme on la comprend ! Née avec la première guerre du Haut-Karabagh, la jeune femme a connu dès le berceau les détonations, la peur, l’incertitude du lendemain. À la signature du cessez-le-feu, le 16 mai 1994, après six ans de combats, ses parents ont sans doute annoncé à la petite fille que la guerre était finie. Ce n’était pas tout à fait vrai : aucun traité de paix n’est jamais venu sceller d’accord sur le sort du territoire. Adolescente, elle a peut-être entrevu un avenir paisible pendant les quelques années de statu quo, hélas illusoire. Car dès 2008, alors qu’elle était toute jeune fille, l’hostilité s’est, à nouveau, manifestée au grand jour. À intervalles réguliers, des escarmouches faisant quelques morts parmi les soldats postés aux frontières ont douché ses espoirs.

Jusqu’en 2016 où la Guerre des quatre jours, a éclaté, inaugurée par une offensive de l’armée azerbaïdjanaise. Impliquant des milliers de combattants, cette Guerre d’avril, violation la plus grave du cessez-le-feu depuis 1994, a montré aux yeux de tous que rien n’était réglé. La jeune femme a alors senti qu’il fallait s’attendre à ce que tout recommence comme lorsqu’elle était enfant. De fait, quatre ans plus tard, en septembre 2020, Bakou déclenchait la seconde guerre du Haut-Karabagh. Malgré le cessez-le-feu signé après 44 jours de combats, elle a vécu pendant trois ans en sursis, avec au cœur l’angoisse constante que le malheur s’abatte à nouveau, ce qui a fini par arriver en septembre 2023. Si elle a survécu à la seconde guerre, qui a fait quelques dizaines de victimes civiles, et si elle est restée en Arménie comme la plupart des réfugiés, peut-elle encore croire qu’un jour on la laissera enfin vivre en paix ?