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Le regard attentif de cet homme est tourné vers sa fille qui chante des hymnes patriotiques.

 

Des chants qui résonnent douloureusement désormais, alors que la « forteresse imprenable » dont ils parlaient est tombée et que ses habitants ont dû fuir précipitamment en septembre 2023. Comme ses voisins, l’homme n’a sans doute emporté que quelques effets et la clé de sa maison. Affaibli par des mois de privations, conséquences du blocus imposé par l’Azerbaïdjan, il a pris la route de l’exode, probablement sans réaliser qu’il ne reverrait jamais son village. C’est une certitude aujourd’hui car Karin Tak n’existe plus. La localité a changé de nom, comme la plupart de celles du Haut-Karabagh. Les autorités azerbaïdjanaises leur ont attribué des toponymes azéris. On ne parle plus de Stepanakert mais de Khankendi ; Chouchi s’appelle désormais Choucha ; Karin Tak a été rebaptisé Dachalti. Dans un même mouvement, des installations à l’identité arménienne évidente ont été détruites : églises, tour de télécommunication en forme de croix, parlement du Haut-Karabagh à Stepanakert.

Mais Karin Tak a connu un sort plus radical : le village a été entièrement rasé et un nouveau bourg est en voie de construction. Le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, est venu en personne poser la première pierre d’un complexe résidentiel puis, quelques mois plus tard, s’assurer du bon déroulement de l’édification de la mosquée. Le gouvernement compte installer un peu plus d’un millier de personnes qui disposeront, sur place, des services publics de première nécessité. Comme dans d’autres villages, il souhaite attirer les azéris qui vivaient dans la région à l’époque soviétique et plus largement toutes les familles alléchées par les logements flambants neufs érigés dans le cadre d’un vaste programme de reconstruction. Ce plan de repeuplement massif fait officiellement partie des priorités de l’État azerbaïdjanais d’ici à 2030. Ainsi, au-delà des monuments historiques emblématiques comme les monastères, ce sont toutes les traces de la présence arménienne dans la région qui sont peu à peu méthodiquement effacées.