
Cette fillette, photographiée ici en 2017, est âgée d’à peine une dizaine d’années lors de l’assaut azerbaïdjanais de 2023 sur le Haut-Karabagh. Plus de 100 000 habitants fuient en l’espace de quelques jours, laissant derrière eux leur maison, leur village, les tombes de leurs parents.
Le trajet vers l’Arménie, sur des routes encombrées de voitures surchargées et de piétons affaiblis par neuf mois de blocus, est cauchemardesque. Il faut attendre le passage de la frontière pour trouver enfin un peu de répit. La Croix rouge et d’autres associations ont installé des camps de réfugiés, elles distribuent des produits de première nécessité, et l’élan de solidarité de la population réconforte quelque peu des exilés épuisés et désespérés. De l’étranger parviennent aussi des dons octroyés par des ONG, des personnes issues de la diaspora et certains États, comme la France. Après la sidération des premiers jours, le gouvernement arménien aménage des centres d’hébergement temporaire dans des bâtiments publics inoccupés, recense les logements vides susceptibles d’accueillir des familles et débloque des aides financières que les réfugiés perçoivent pendant six mois. Quant aux enfants, l’Unicef et d’autres associations mettent en place à leur intention des consultations pédiatriques mais surtout une prise en charge psychologique. Car les soignants ont constaté que beaucoup souffrent de symptômes graves de détresse. Cauchemars, énurésie, pleurs inconsolables, renfermement sur eux-mêmes traduisent leurs sentiments envahissants de tristesse, d’anxiété, de peur et de colère. Des programmes de thérapie par la parole, l’art ou le sport sont établis pour les aider à surmonter leurs traumatismes. Et tous sont scolarisés, ce qui ancre leur quotidien dans un semblant de normalité.
Pourtant, les familles ne semblent pas toutes vouloir prendre racine en Arménie. L’accueil chaleureux des premiers jours a trop souvent fait place à l’indifférence, voire à de l’hostilité manifestée par certains habitants. Ajoutée aux difficultés économiques rencontrées dans un pays où les loyers sont élevés et où le chômage atteint 14%, elle a incité certains nouveaux arrivants à prendre à nouveau la route de l’exil. Près de 20 000 seraient repartis, notamment en Russie, terre d’immigration économique pour les Arméniens depuis une trentaine d’années. Mais même ceux qui sont restés ne semblent pas, pour la plupart, s’imaginer un avenir en Arménie. Un an après leur exode, à peine 5000 d’entre eux avaient demandé la nationalité arménienne. La grande majorité des réfugiés a donc, pour l’instant, refusé cette proposition qui leur est faite par le gouvernement. Comme s’ils refusaient d’abandonner tout espoir de retour.