Raymond H. Kévorkian
Historien spécialiste du génocide des Arméniens
Prix littéraire 2024 de l’Oeuvre d’Orient
Des quinze provinces de l’Arménie historique, précisément décrites par le géographe du VIIème siècle Anania Chiragatsi, l’Artsakh est la dernière en date à avoir été vidée de sa population arménienne. Cette éradication est, comme il est d’usage dans la région, notamment en Turquie, accompagnée d’un travail méthodique d’effacement des traces de l’enracinement arménien millénaire, dont le patrimoine monumental constitue la partie la plus visible.
L’éradication de la présence arménienne constitue de fait un élément central dans la construction d’une identité « azérie », terminologie contemporaine qualifiant les « tatars du Caucase ». Cette destruction prend parfois des formes lentes, comme la mise en place d’une politique de harcèlement larvé, d’encerclement/enclavement, d’infrastructures rendant l’Artsakh totalement dépendant du pouvoir de Bakou — cela a été le cas durant la brève histoire de l’URSS —, et plus généralement d’un racisme non dissimulé soigneusement entretenu par les autorités locales.
Héritière à certains égards de l’élite politique jeune-turque, qui a donné naissance à un « Azerbaïdjan » soviétique auquel le Haut-Karabagh et le Nakhitchevan ont été intégrés grâce à la complicité des Bolchéviks caucasiens, la classe politique actuellement au pouvoir à Bakou se légitime en continuant méthodiquement à user d’un discours révisionniste relayé par une bonne partie des élites intellectuelles avec, jusqu’à une période récente, la complicité d’universitaires européens. Ils ont de fait en partage une politique négationniste concernant le génocide de 1915.
Dans ce long processus, les Kémalistes ont été jusqu’à acquérir sous la forme d’un échange de territoires avec l’Iran, une étroite bande de terre reliant la Turquie au Nakhitchevan. Méthodiquement, les deux États avancent leur pions et, après avoir déraciné les populations arméniennes du Haut- Karabagh, ils visent dorénavant l’intégrité territoriale de l’Arménie.
Cette exposition illustre la catastrophe vécue par les Artsakhiotes, de même qu’elle illustre l’indifférence profonde de la Communauté internationale face à ces situations. La leçon à tirer de ces événements est évidente et doit être gravée dans le marbre : il faut être capable de dissuader pour subsister en paix.
Historien spécialiste du génocide des Arméniens
Prix littéraire 2024 de l’Oeuvre d’Orient
Remise du prix littéraire de L’Œuvre d’Orient en octobre 2024 à Raymond Kévorkian pour son ouvrage “Parachever un génocide”, publié par les éditions Odile Jacob.